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Quatre modèles du travail de transfert.

 

Louis Brunet

Extrait d’une conférence donnée à la Société psychanalytique de Montréal

Janvier 2015

 

L’interprétation transférentielle est « l’idéal » de l’analyste. Cet idéal est fortement tributaire des premières théories psychanalytiques alors que des auteurs contemporains ont fait évoluer le sens de la notion d’interprétation, ou même ont modifié l’idéal d’interprétation, notamment en reconnaissant que diverses formes « d’interventions » pouvaient être utilisées par l’analyste. On a par exemple décrit l’interprétation comme une traduction à laquelle on a opposé la construction.

 

Le travail de l’analyste dans l’histoire de la psychanalyse a été tributaire de la théorie de la technique plus ou moins explicite liée au développement de la métapsychologie de l’époque. Dans l’histoire de la psychanalyse, nous pourrions facilement dégager quatre modèles de la thérapeutique selon les lignes qui suivent :

 

Premier modèle : la conception de la « névrose » et du refoulement font en sorte que les interprétations visent à rendre conscients les contenus inconscients, les dévoiler – pour caricaturer dans une courte maxime : il s’agit d’un travail sur le refoulé. Ce modèle s’est rapidement avéré incomplet pour Freud (et inefficace) à cause de l’existence des résistances inconscientes, donc de parties du psychisme elles-mêmes inconscientes agissant activement pour refouler. Il a fallu développer un nouveau modèle pour travailler sur les résistances.

 

Deuxième modèle : d’un travail sur le refoulé, il s’agit maintenant de faire un travail sur le refoulant; passant d’un modèle topographique à un modèle dynamique de l’interprétation. Les interprétations visent à rendre conscients les processus inconscients et non seulement les contenus, les désirs. L’interprétation vise à mettre en lumière le travail inconscient du moi visant le refoulement ainsi que les autres défenses. En d’autres termes, il s’agit d’un travail sur les défenses et sur la conflictualité inconsciente. De cette conception découle l’axiome classique voulant qu’on interprète d’abord les défenses avant le contenu (désir ou pulsion).

 

Troisième modèle : le transfert n’est plus qu’un obstacle à la remémoration, mais il devient ce par quoi un remaniement économique et dynamique de l’appareil psychique pourra être atteint. Pour l’analyste le transfert devient le levier de la cure et par conséquent le travail sur le transfert devient l’axe privilégié d’interprétation. Le transfert permettant un déplacement des investissements, des objets internes et infantiles, vers l’analyste, il libère les investissements figés. Le travail « sur » le transfert ne sera peut-être pas que « d’interpréter » celui-ci, mais il visera aussi à « ramener » les investissements au sein du transfert (procédé courant chez les « kleiniens » et explicité chez Meltzer, 1967) pour l’accentuer, le rendre plus visible d’une part et le rendre plus « travaillable ». L’interprétation démasque la répétition, permet le dégagement des imagos du passé pour paver la voie à de nouveaux investissements.

 

Quatrième modèle : Ce modèle a peut-être été initié par Winnicott. La phrase de Winnicott qui décrit le mieux ce modèle selon moi est celle issue de son texte de 1974 (La peur de l’effondrement) :

 

« Le patient doit s’en « souvenir », mais il n’est pas possible de se souvenir de quelque chose qui n’a pas encore eu lieu, et cette chose du passé n’a pas encore eu lieu parce que le patient n’était pas là pour que ça ait lieu en lui. Dans ce cas, la seule façon de se souvenir est que le patient fasse pour la première fois, dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert, l’épreuve de cette chose passée » . (Winnicott, 1974, p. 212).

 

Dans la foulée de Winnicott, la psychanalyse a perçu que certains analysants ne fonctionnaient ni sur un mode névrotique, ni sur un mode psychotique. Sans se cantonner à une nosographie qui pourrait nous piéger, il s’agit de personnes pour qui les espaces psychiques sont mal définis et mal différenciés, de personnes en mal d’appropriation subjective, ou en souffrances « narcissique-identitaires » (Roussillon 2001a, 2001b). Comme le présente Winnicott, il ne s’agit pas d’interpréter un contenu, un désir ou même un conflit puisqu’il s’agit de faire l’expérience subjective pour une première fois. C’est à partir de cette conception, selon moi, qu’il faut absolument concevoir deux niveaux fonctionnels à l’interprétation, comme j’ai tenté de le développer en 2005 et en 2010 en parlant des fonctions de l’analyste et notamment de « l’acte interprétatif ».

 

Ces quatre modèles peuvent se concevoir selon une ligne temporelle historique, mais de la même façon que la deuxième topique n’empêche pas de penser en termes de conscient, préconscient et inconscient, l’analyste peut penser ces quatre modèles du psychisme et ces quatre modèles de l’interprétation et les utiliser selon certaines conditions. D’aucuns privilégieront certains de ces modèles en fonction de leurs affinités et de leurs « fréquentations ». Mais peut-être faut-il plutôt tenter d’utiliser le modèle qui convient au patient dans telle période de son analyse, marquée par le transfert dominant de cette période.

 

 

Références

 

Brunet, L. (2005). Les manifestations de l’archaïque et les fonctions de l’analyste, Revue canadienne de psychanalyse, 13, 1, 57-76.

 

Brunet, L. (2010). Limites, transferts archaïques et fonctions contenantes. In Les psychoses. Traité de psychopathologie de l’adulte, C. Chabert, ed., Paris : Dunod, 133-172.

 

Meltzer, D. (1967).  Le processus psychanalytique.  Paris, Payot.

 

Roussillon, R. (2001a). Agonie, clivage et symbolisation. Paris : Presses universitaires de France.

 

Roussillon, R. (2001b). Le plaisir et la répétition. Théorie du processus psychique. Paris : Dunod.

 

Winnicott, D.W. (1974). La crainte de l’effondrement, in La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques. Paris : Gallimard, 205-216

 

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