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Casoni, D., Brunet, L. (2003). La psychocriminologie. Apports psychanalytiques et applications cliniques. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 244 p.

 

Que se passe-t-il dans l’esprit d’un homme qui agresse sa conjointe, qui en tue un autre ou qui s’adonne au vol comme mode habituel de vie? Qu’est-ce qui motive ou qui pousse cet homme à agir d’une façon qui, non seulement contrevient aux lois, mais qui est aussi considérée comme inacceptable et immorale par la majorité de ses congénères?

De la fascination qu’exercent sur nous les personnages de films qui sont dépeints comme des psychopathes cupides et immoraux, à la révulsion que nous ressentons quand nous sommes mis en présence de victimes réelles d’actes criminels, ces questions surgissent en chacun. Il n’existe certes pas d’explication unique et encore moins de réponses simples à ces questions, néanmoins, la recherche de voies de compréhension et d’explication est la seule qui soit scientifiquement pertinente. Nous proposons donc, dans ce livre sur la psychocriminologie psychanalytique, d’examiner des hypothèses explicatives qui permettront au lecteur, au fil de sa lecture, de mieux saisir et de mieux comprendre ce qui, au plan psychique, sous-tend la délinquance.

Depuis le livre d’Hesnard (1963), il ne s’est publié aucun ouvrage francophone portant spécifiquement sur la psychocriminologie psychanalytique. Pourtant nombre de travaux psychanalytiques ont permis, depuis les quarante dernières années, de faire avancer la compréhension du fonctionnement psychique des individus qui commettent des crimes ou s’engagent dans un mode de vie délinquant. Pensons notamment en Amérique du Nord aux travaux de Kernberg sur les pathologies du narcissisme ou, en Europe, à ceux de Balier sur le rôle joué par le facteur quantitatif dans la survenue de comportements violents et de comportements sexuels violents. Il devenait donc impérieux non seulement de faire le point sur ces nouvelles contributions théoriques et de les situer historiquement dans l’évolution de l’apport psychanalytique à la psychocriminologie, mais également de proposer des applications cliniques nouvelles de la psychocriminologie psychanalytique à des situations problématiques comme le recours aux actes criminels dans un contexte sectaire religieux ou terroriste, par exemple.

Ce que contient ce livre

Ce livre est divisé en deux parties. La première, compte cinq chapitres et regroupe l’essentiel des contributions théoriques psychanalytiques explicatives du fonctionnement psychique du délinquant alors que la seconde partie, qui compte trois chapitres, propose des applications cliniques de concepts psychanalytiques à des problématiques criminologiques particulières.

Le premier chapitre du livre présente le cadre conceptuel de notre ouvrage. Il situe les contributions psychanalytiques à la psychocriminologie, par rapport aux divers courants de la psychologie et de la psychologie clinique. Il pose d’emblée la spécificité de l’apport psychanalytique notamment dans sa vision de l’homme, du conflit humain, et de la vision de la continuité normalité-pathologie. Il présente certains grands concepts qui seront utiles pour comprendre, tout au long du livre, les apports des divers auteurs recensés, ainsi que les diverses notions qui sont propres à la psychanalyse, tels que les concepts de : Moi, Ça, Surmoi, Idéal du Moi, Surmoi; ainsi que les points de vue structural, dynamique et économique.

Comme l’étude psychanalytique de la psychodynamique délinquante, pour des raisons que nous expliquerons plus loin, s’est développée de façon distincte selon les milieux d’où exerçaient les auteurs recensés, nous avons choisi de présenter leurs contributions en se centrant d’abord sur une école dite européenne dans le chapitre deux, puis sur une école dite nord-américaine dans le chapitre trois.

Pour des raisons d’espace, nous avons malheureusement dû omettre nombre de contributions intéressantes. Ainsi, seuls les auteurs dont le travail théorique a laissé une marque significative sur la compréhension de l’agir et de l’organisation psychique du délinquant sont présentés. Les travaux choisis permettront au lecteur de découvrir des auteurs importants dont les contributions à la compréhension de la psychodynamique du délinquant sont incontournables. À ce sujet, il est intéressant de noter qu’à l’époque des premiers auteurs recensés, seule la psychanalyse offrait une conceptualisation psychologique de la délinquance, ce qui a permis le développement des premiers programmes de traitement centrés sur des aspects proprement psychologiques, plutôt que sur l’endoctrinement religieux, moral ou encore axé sur la punition du contrevenant.

Alors que le deuxième chapitre est consacré aux travaux d’auteurs européens, le troisième chapitre traite des contributions des auteurs psychanalytiques nord-américains. Ces deux chapitres présentent les auteurs recensés en ordre chronologique de leurs contributions et des sous-sections permettent au lecteur de repérer rapidement les thèmes abordés et d’isoler les auteurs qui traitent de thématiques semblables.

Le quatrième chapitre propose de faire le point sur le processus d’identification qui, comme nombre d’auteurs l’ont observé, constitue un élément important dans le devenir délinquant de beaucoup de jeunes qui poursuivront une carrière criminelle.

Le cinquième chapitre, intitulé La psychodynamique délinquante, constitue une synthèse de notre propre position sur la psychodynamique et la psychogenèse délinquantes.

La deuxième section du livre propose trois chapitres qui portent sur l’application de la théorie psychanalytique à des problématiques criminologiques, soit un chapitre sur les groupes sectaires religieux et terroristes (chapitre 6), un autre sur les relations passionnelles et la violence conjugale (chapitre 7) ainsi qu’un chapitre final constitué de portraits cliniques de garçons et d’hommes qui ont commis divers délits et d’une adolescente en milieu de rééducation (chapitre 8).

Afin de faciliter la lecture et d’offrir la possibilité au lecteur d’en savoir plus sur certains thèmes et concepts, des encadrés ponctuent le texte de certains chapitres.

 

La délinquance : un phénomène social

Tout livre se consacrant à la délinquance doit tenir compte du fait que cette problématique se définit avant tout par rapport aux normes sociales en vigueur dans une société et une culture données. Pour nous qui sommes respectivement professeurs de criminologie et de psychologie, et dont la formation disciplinaire et clinique provient d’abord de la psychologie puis de la psychanalyse, l’importance des aspects sociaux dans la définition et la compréhension du phénomène de la délinquance a toujours retenu notre attention. Outre l’observation répétée, dans notre pratique clinique, de la présence déterminante de déterminants culturels et sociaux dans le recours à l’agir délinquant comme tel, les apports sociologiques qui permettent de saisir le rôle joué par la construction sociale dans la définition même de la délinquance et dans l’identification de qui est délinquant nous apparaissent de première importance.

À cet égard, nous avons appris à nous méfier du biais disciplinaire qui consisterait à concevoir toutes les difficultés sociales des gens, et en particulier de ceux que l’on dit délinquants, uniquement sous l’angle de problèmes d’adaptation ou de psychopathologie. En ce sens, tout au cours de cet ouvrage, notre pensée doit être comprise comme s’inscrivant dans un cadre qui pose comme postulat que la délinquance constitue, en même temps et de façon indissociable, un phénomène de société dont la définition même implique une part normative d’ordre culturel, politique, économique et social.

D’ailleurs, les mots délinquance et délinquant renvoient davantage à un construit socio-juridique qu’à une quelconque conceptualisation psychologique ou psychanalytique. D’autant plus que, selon une épistémologie psychanalytique, un individu n’est pas réductible aux actes qu’il pose. Cependant, puisque ce livre traite de délinquance, il ne peut se soustraire à la nature socio-juridique de ce construit. En ce sens, ledélinquant dont il est question dans cet ouvrage est : celui qui adopte de façon régulière et stable un comportement social qui contrevient aux lois criminelles des pays où un système de police et de justice, indépendant des forces politiques, détermine ce qui constitue, ou non, un acte criminel. Bien qu’une telle définition contienne sa part d’arbitraire- ne serait-ce que parce que les démocraties ne sont pas exemptes d’abus- elle a l’avantage d’identifier le plus clairement possible ceux dont il est question dans cet ouvrage.

Essentiellement donc, ce livre traite de ceux que Noël Mailloux désigne comme des délinquants habituels, c’est-à-dire ceux dont le mode de vie est axé de façon prédominante sur la commission de délits. Cette définition du terme présente aussi l’avantage d’exclure les personnes dont les délits sont définis surtout par rapport à un pouvoir politique dominant. De même, cette définition du délinquant permet de poser un regard critique sur les crimes commis dans des situations sociales et culturelles exceptionnelles. De plus, et ce qui est important de souligner dans un livre axé sur la psychocriminologie, cette définition de la délinquance exclut l’équation qui ferait correspondre la délinquance à une entité diagnostique.

Ainsi, bien que nous ayons respecté les termes et les catégorisations diagnostiques des auteurs recensés, lorsqu’il est question de notre propre position concernant la psychodynamique du délinquant, la référence au terme délinquant n’est pas à comprendre comme un diagnostic. En distinguant la personne de ses actes et en cherchant à l’affranchir d’une catégorisation stricte, nous désirons notamment centrer la réflexion sur la compréhension de ce qui, au niveau de l’organisation psychodynamique particulière, peut favoriser ou soutenir un mode de fonctionnement délinquant.

 

Notre choix d’une position trans-nosographique

Malheureusement depuis quelques années, une volonté de répression et un désir de punition ont souvent pris le pas sur l’objectif de comprendre et d’aider le délinquant, et ce même dans des pays occidentaux qui, jusque-là, avaient adopté des politiques de rééducation et de réinsertion, socialement justes et relativement efficaces. En parallèle, l’intérêt scientifique a eu tendance à se tourner beaucoup plus sur la recherche de méthodes de contrôle des comportements des individus plutôt que vers la sophistication des approches thérapeutiques. Dans un tel contexte idéologique, si la place de la psychanalyse est demeurée importante pour ce qui en est de son pouvoir explicatif, son recours au niveau de l’intervention a été délaissé au profit de méthodes qui promettaient d’être plus rapides. Promesses de célérité qui n’ont d’ailleurs pas été tenues. Néanmoins, encore aujourd’hui, la psychanalyse fournit à la criminologie la théorie explicative la plus complète qui soit du fonctionnement psychique. En permettant de concevoir un individu qui soit davantage que la somme de ses actes, la psychocriminologie inspirée par la psychanalyse se veut une psychologie de l’individu qui pose des actes criminels plutôt qu’une simple psychologie du comportement criminel.

Cependant, il serait présomptueux de penser s’affranchir complètement de toute référence catégorielle dès lors qu’un groupe de personnes est étudié en fonction de leurs caractéristiques communes. En effet, il ne s’agit pas de nier que nombre de délinquants puissent présenter une organisation de la personnalité qui soit caractéristique d’une structure de personnalité particulière ; état-limite ou associée à une pathologie du narcissisme, par exemple. Cependant, nous prenons plutôt le parti d’étudier de façon indépendante d’une catégorisation diagnostique les composantes psychodynamiques de la personnalité qui permettent de comprendre le fonctionnement psychique des individus délinquants. En ce sens, ce livre adopte une position qui peut être dite trans-nosographique.

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